lundi 1 septembre 2008

L'éternel recommencement

J'ai pris quatre ans à écrire ma thèse. Un nombre incalculable de versions, de ratures, de reprises, de recommencement, de goût de tout laisser tomber et aller voir ailleurs si j'y suis. 

J'ai fini, déposé, remisé la chose. Depuis deux ans.

Alors pourquoi est-ce que maintenant, alors qu'on me demande de la retravailler, est-ce que je me retrouve exactement comme il y a 6 ans, à me poser des questions à chaque phrase, chaque paragraphe, comme si les dernières années n'avaient rien apaisé? 

Je n'ai pas de réponse. Je sais seulement que je ne referai pas la chose si je dois me débattre à nouveau de la sorte, si je n'ai pas un peu l'impression d'avoir appris.

la force du contournement (avril)

Je devrais travailler. Le temps presse, je n'arrive à rien. Sauf à ranger, à trier les choses, à régler des formalités. Et à vouloir écrire. Écrire Ginny, bien sûr, mais les autres aussi, ceux qui s'en viennent.
Si je n'avais pas à travailler, il est fort probable que je n'arriverais pas à écrire. Ou que je penserais à travailler.

Et je m'interroge: pourquoi toujours autant de résistance, de procrastination. Pourquoi tout ce temps à tourner autour, à tergiverser, même si je sais que lorsque j'y suis, il n'y a rien de mieux, vraiment rien, que cette sensation de toucher à quelque chose, que ce soit dans l'écriture ou dans le travail, d'ailleurs.

Et je m'interroge aussi sur autre chose. Ma volonté de régler les problèmes, de trouver des solutions, de comprendre pourquoi Ginny Cooper, ma tentation de la contourner, d'écrire autour d'elle, comme si son refus en faisait un mur immuable. Et après? Et si Ginny, comme le reste, comme les méchants diagnostics, n'avait pas de solution? Et si la "solution" était seulement cela: laisser aller, la laisser aller, ne pas tenter ni même espérer la ranger quelque part ou lui trouver une résolution. Et si le simple fait qu'elle, et les méchants diagnostics, existaient voulait dire que ma quête de la solution ne veut rien dire, ne me mène nulle part, sinon à toujours tourner autour. Et si la procrastination n'était qu'une manière de ne pas approcher, ne pas finir, ne pas admettre qu'il n'y a pas de résolution? 

Ginny Cooper (février 2008)

J'essaie, me débats, tente contre toute attente d'écrire Ginny Cooper. Je sais d'elle qu'elle marche les deux mains dans ses poches.
qu'elle n'a pas eu peur.

Mais elle résiste, comme si elle ne voulait surtout pas que je la réduise à une histoire comme les autres, avec un début, un milieu, une fin. Une résolution.

Alors elle est sortie les deux mains dans les poches. C'était une décision. Comme celle de rentrer chez elle et de reprendre le boulot le lendemain matin. Comme celle de ne pas en parler, parce qu'elle n'avait rien vu, un peu de fumée peut-être. Son bureau n'existait plus, mais elle, immuable, avait déposé ses clés sur la table de l'entrée et s'était nettoyé le visage.

Le problème avec Ginny, ce n'est pas ce qu'elle a fait ou n'a pas fait cette journée-là. Le problème, c'est ce qu'elle révèle sur le projet, une faille, quelque chose que je n'avais pas prévu, ou pas tout de suite, si vite, un peu avant le milieu. L'impression d'être loin. Ou de me répéter. De ne pouvoir évoquer que des voix.

Il faut bien commencer quelque part

De Ginny Cooper à Melanie, de James à Nadia, je me promène parmi mes personnages, les trouvant dans des détours qui, chaque fois, me laissent surprise. Je ne les connais que si peu, au fond, à peine leur nom, parfois un trait, et soudain ils deviennent si forts, plus réels que les simples mots, plus réels que moi.

Je les approche, et les histoires viennent ensuite. Ils ne servent pas les histoires. Ils n'ont pas de buts, d'agenda, de convictions, de messages à passer. Ce sont des visages, et je ne veux que les amener là, là où ils voudront bien aller, les raconter, leur donner une voix, pour ensuite les laisser aller. Ils continuent leur histoire, parfois reviennent, mais plus souvent qu'autrement, ils deviennent comme ces amis qu'on a perdus de vue mais auxquels on pensera toujours avec affection.