mardi 13 avril 2010

Leah (2)

Le problème, pense Leah pendant qu’elle sent derrière elle la pression de centaines de marcheurs, le problème, c’est que je ne sais pas pourquoi il me faut me reconstruire. Un matin, en mai, elle s’est levée et tout était devenu compliqué. La veille, rien, aucun problème réel, un peu d’ennuis financiers, un peu d’ennui tout court. Et puis le matin suivant, ce fut comme si le ciel lui était tombé sur la tête, et elle n’a pas pu se sortir du lit avant deux jours. Incapable de bouger. Incapable de faire autre chose que de pleurer, pleurer des larmes qui venaient elle ne savait d’où, qui l’avalaient, l’étouffaient. Elle a cru qu’elle mourrait là, dans son lit, un samedi de mai, pendant que dehors le printemps ressemblait à l’été. Elle a laissé ses couvertures et les larmes prendre le dessus, cessé de retenir le cri rauque qui agitait son corps, et attendu la mort.

Mais la mort n’est pas venue. Et Leah a trouvé un élan, juste assez pour se rendre chez le médecin, entre les vélos et les taxis.

Elle va mieux, certes. Ne passe plus des heures, recroquevillée dans son lit à peupler sa chambre de sons et de pleurs qu’elle ne peut pas reconnaître. Ils venaient de si loin. Pendant quelques semaines, en juillet, Leah a espéré que cet apaisement annonçait la fin du vide. Elle a rêvé de se retrouver, de se regarder dans le miroir sans dédain, sans voir dans ses yeux le vide qui l’agitait encore. Mais depuis le mois d’août, depuis le 17 août en fait, Leah a compris que le cocktail de médicaments et le sourire apaisant de son psychologue n’ont fait que masquer ce grand trou qui la remplace.

Le 17 août, Leah a revêtu sa plus belle robe, celle qui lui a toujours donné l’envie de tourner sur elle-même pour sentir la douceur et le froissement du tissu. Au mariage de son amie Eleonora, sur un bateau parcourant l’Hudson River, Leah a souri, pendant que sa robe s’agitait au vent et que le photographe la regardait en lui disant de se tasser un peu sur la gauche. Elle a dansé, but un peu, bien mangé. Ses amis lui ont dit qu’elle avait enfin l’air d’aller mieux. Elle a opiné, attrapé un verre de champagne. Souri. Ce n’était pas un faux sourire. Mais elle ne souriait pas pour ce qu’ils croyaient tous.

Leah n’a jamais aimé laisser les choses en plan. Elle est rentrée très tard du mariage d’Eleonora, soûle de soleil et de l’air marin. L’esprit clair, par contre, pour la première fois depuis ce matin de mai.