David Ray Griffin était à l'UQAM lundi soir. Grand prêtre du mouvement des "truthers", il est venu nous donner sa lecture des faits. Et le mot important est "lecture". J'étais troublée par la foule qui a fait la file pour entrer dans l'auditorium. Tous ces gens, pour ce genre de discours? Déception, donc. Je nous croyais moins crédules...
J'ai été intriguée à un moment par les théories du complot, je l'avoue. Le film Loose Change a semé le doute en moi par sa construction argumentative. Loose Change, Griffin et les autres (Meyssan, par exemple) ont l'avantage de proposer une version séduisante des attentats qui, en contredisant la version officielle dénonçant l'impuissance des services de sécurité, des secouristes, des immeubles même, vient dire que tout était prévu d'avance, et non seulement prévu, mais planifié par les figures du pouvoir interne. Autrement dit, au lieu d'avoir à accepter l'inimaginable, à savoir que personne n'a pu les protéger, même leur gouvernement, les truthers décident de croire à une version où l'ennemi est intérieur, donc identifiable. "Le fait de croire en des choses irréelles nous aide à supporter la vie réelle", dit Nancy Huston au sujet de la foi dans L'espèce fabulatrice.
Les théories du complot fonctionnent comme les dessins à numéro de notre enfance: elles organisent, relient des faits bizarre afin de révéler un dessin/dessein caché. Elles abolissent le hasard, la fatalité, le chaos, en disant : regardez, là, là, là, voyez comme tout peut faire sens si vous acceptez de voir la vérité. Autant Chossudovski venu présenter les conférenciers que Griffin ont martelé que "les faits étaient indéniables", que la science ne trompait pas. Les tours du World Trade Center ne se seraient pas effondrées sans l'intervention d'explosifs. Les témoins ont entendu des explosions. Ils disent cela, nous répétant que voyons, la science, la science mes amis, vous voyez bien que vous ne pouvez pas nier la vérité. Mais ils négligent de parler de faits tout aussi indéniables: préparer des immeubles pour une implosion prend des mois. Des mois au cours desquels des ouvriers auraient placé des explosifs contre les colonnes. Comment faire cela pendant que 45000 personnes visitent les tours à chaque jour? Et les explosifs auraient été déclenchés lors des premières explosions, lorsque les avions ont heurté les tours. Mais alors, les entend-on presque suggérer, les explosifs ont été installés après les avions. En 102 minutes, donc, et beaucoup moins pour la tour sud? Difficile, d'un point de vue scientifique, d'accepter cette possibilité. Ok, ok, pourraient-ils admettre. Mais les explosions? Vous voulez dire le feu rencontrant par exemple des réservoirs qui alimentaient des génératrices, des sources électriques? Ok, ok, mais alors, les "puff" de fumées, lorsque les tours se sont effondrées? Vous voulez dire la force même de l'effondrement, qui a compacté les tours de 110 étages en 7 étages de débris, donc compressé à la fois le contenu des tours et l'air?
Je ne nie pas le fait que les États-Unis ont profité des attentats pour faire accepter une augmentation des coûts de la défense, une diminution des droits par le Patriot Act, ni même qu'ils ont utilisés les attentats comme leitmotiv pour contrôler la population. Mais après le fait. Oui, cela a servi leurs intérêts. Mais comment auraient-ils pu planifier la chose? Une telle planification aurait supposé que plusieurs milliers de personnes, au gouvernement tout comme dans les services de sécurité et les services militaires, auraient été au courant des attentats. Dans une ville comme Washington où, comme le disait je ne sais plus quel intervenant, les secrets sont impossibles parce que chacun court immédiatement vers les médias pour être la personne qui révèle le scoop? Quand même!
Les théories du complot interviennent lorsque a) l'explication fragilise la perception d'un peuple, entraînant une insécurité; b) l'explication ne dit pas tout, comme dans le cas présent, soit par peur des conséquences, soit parce que l'information manque, soit parce qu'elle ne dira jamais assez devant l'ampleur d'un événement. Les théories du complot jouent le même rôle, en fait, que la religion et les mythes fondateurs: parce que l'humain ne comprenait pas comment la terre avait pu être créée, parce qu'il avait besoin d'apposer un sens et un récit à des faits qui le dépassaient, il s'est inventé une histoire. À chaque fois que l'humain a peur, souffre, il s'invente une signification qui transcende la peur et la douleur: karma, destin, fatalité. "Tout cela aide effectivement les gens à vivre, à supporter la douleur de la perte, à faire le deuil, à renouveler leurs énergies pour le lendemain", écrit encore Huston. Cela ne veut pas pour autant dire que Jésus est né de l'immaculée conception, ni que Moïse a séparé les eaux.
La religion, tout comme les théories du complot, est un récit. Ce récit, il nous appartient de l'interpréter, de le considérer comme récit et non comme vérité. Et il nous revient, aussi, de nous méfier, lorsque la propagande s'agite et, au lieu de nous proposer une explication, nous incite à crier devant des faits qu'elle présente comme "indéniables". La seule chose qui est indéniable, lorsqu'il est question du 11 septembre 2001, c'est que les tours du World Trade Center n'existent plus, et ont entraîné la mort de milliers de personnes. Tout le reste peut être réinterprété.
Je suis allée voir Griffin par curiosité, mais aussi parce qu'il me semblait que je le devais. J'ai expliqué, avant la conférence, ma "théorie", ma lecture des théories du complot comme récit fondateur, remplaçant dieu pour comprendre l'incompréhensible. J'ai lutté tout au long de la conférence pour ne pas hurler, déconstruire au fur et à mesure le discours de Griffin, en ajoutant d'autres données à ce qu'il disait. Je ne savais pas, viens à peine de le découvrir, que Griffin, professeur retraité de théologie, enseignait jusqu'en 2005 dans une université très religieuse, et dans un département dont la fonction première est de former de futures prêtres. Je ne le savais pas, mais l'ai tout de même reconnu dans son discours. Il parle bien, Griffin. Il a un vrai talent d'orateur, il est convainquant. Cela ne veut pas pour autant dire que sa vision du monde, séparée entre le vrai et le faux, les bons et les méchants, tient la route.