mardi 21 octobre 2008

un café

Le jour où mon frère est mort, j’étais assise avec un café, sur la terrasse arrière, et je regardais le soleil. Juste cela. Je regardais le soleil briller sur l’Hudson, et je buvais mon café. Mon amant était parti quelques minutes plus tôt, j’avais déjà mis les draps à laver, et je buvais lentement un café, en grignotant un morceau de pain. Je prévoyais me faire du pain doré, sans raison, parce que c’était mardi, et que cela me semblait une bonne idée. Une façon de faire une petite folie, alors que la semaine n’était pas suffisamment avancée pour justifier une telle entorse à la productivité.

Je n’avais rien fait de particulier le lundi. Oh j’avais couru du laboratoire photographique à l’encadreur, puis chez le nettoyeur, à la pharmacie, à l’épicerie. Mon frère m’avait attrapé au téléphone alors que je conduisais la voiture vers mon magasin préféré. Tu n’as rien de mieux à faire aujourd’hui? Rien de plus utile? Nan, j’ai été utile hier, aujourd’hui ça ne me tente pas. Il avait ri, de son rire plein mais étouffé. J’aimais le faire rire ainsi, j’aimais l’entendre toussoter à l’autre bout du fil, je devinais les larmes à ses yeux. Il riait comme ça, toujours, lorsque je lui disais ce genre de chose totalement incongrue.

Nous étions différents. Il faisait dans la réalité la plus pure, les systèmes mécaniques, les ascenseurs. Je faisais plutôt dans l’imaginaire, dans les photographies qui ne montrent pas grand chose, m’avait-il un jour reproché, parce que j’étais dans la macro : je regardais les gouttes goutter, les fleurs fleurir, les poussières tomber. Je lui disais que nous n’étions pas si différents, après tout, puisque nous nous attardions tous les deux au détail. Peut-être, sauf que mes détails décident si les ascenseurs se rendent à destination ou s’ils tombent de 100 étages. J’avais admis cela. Pas à contrecœur, loin de là. J’aimais l’imaginer dans sa tour, la tête sous un ascenseur, à observer les poulies et les cordes et les engrenages. Cela me rappelait notre enfance, quand il démontait ma poupée et que je lui parlais des grains de pollens oubliés. Nous étions déjà comme nous l’étions, bien campés dans nos différences. Complémentaires, disait ma mère. Opposés, disait mon père. Comme ça, disions-nous.

 

Cela me semble étrange maintenant. J’étais assise avec mon café, la lumière était fabuleuse, mon appareil photo était là mais je n’avais pas envie de chercher quoi que ce soit, de voir quoi que ce soit. Je préparais une exposition, j’avais rencontré quelqu’un un lundi soir, je pouvais rester à la maison pendant une heure ou deux sans que mon monde ne s’écroule, et pendant ce temps, mon frère discutait d’un ascenseur qui, pour une raison étrange, ne voulait pas s’arrêter à l’étage 71. Il m’avait appelé pour ça lundi.