lundi 2 mars 2009

Mark et Mary

En verrouillant la porte de son appartement, la serrure de la poignée d'abord, puis la serrure du haut, un sourire se dessina sur son visage. Sa situation n'était pas particulièrement amusante, mais son ironie ne lui échappait pas. Mary était partie depuis 13 jours. En claquant la porte. Je ne veux plus te voir, plus t'entendre, toi et tes excuses. Elle était partie réfléchir, c'était son mot, réfléchir, comme un enfant gâté qu'on envoie dans sa chambre. Mark Garview se savait légèrement de mauvaise foi. Mary ne boudait pas. Ses raisons, son exaspération, faisaient du sens, il ne pouvait le nier. Mais elle avait presque tapé du pied, il l'avait vue, pendant une fraction de seconde son talon s'était levé, puis reposé, au prix d'un effort presque surhumain, pour ne pas paraître puérile, pour ne pas lui donner, à lui, raison de hausser les épaules.

Il y a 13 jours, sa valise et son portable à la main, Mary lui dit qu'elle l'appellerait dans deux semaines. Peut-être. Qu'il pouvait lui écrire, s'il le désirait, s'il avait quelque chose à dire, mais que pour l'instant, elle ne pouvait supporter le son de sa voix. Tu dois réfléchir. Pense à ce que tu veux. Sa voix, retenue, parce qu'elle allait crier si elle ne faisait pas attention et qu'elle s'était promis, pendant qu'elle entassait quelques vêtements dans une valise, qu'elle ne crierait pas. En silence, il avait admiré sa détermination. Il ferait un effort pour prendre le temps de mettre ses pendules à l'heure, elle n'avait pas tort. En six ans de vie commune, il n'avait accepté aucune autre évolution que la location de l'appartement. Elle voulait des enfants, peut-être acheter un appartement en ville, ou louer une maison dans les Hamptons. Mais lui, il était parfaitement satisfait comme ça, lui avait-il dit, satisfait de leur vie. Pourquoi tout gâcher en voulant aller plus loin plus vite. Parce que, bordel, parce qu'on ne peux pas rester immobiles toute notre vie! 

Si Mark sourit, ce matin de semaine, ce n'est pas parce qu'il ne peut comprendre ce que Mary veut, les raisons de son éclat, cet ultimatum déguisé en fugue. Il sait qu'elle n'a pas tort, qu'il n'a plus 20 ans. Un appartement, un enfant, ce n'est pas si difficile, quand on y pense. Et Mary... eh bien, pourquoi pas avec elle? Il ne s'imagine pas vraiment avec une autre, mais peut-être n'est-ce que paresse, pense-t-il en saluant le portier. Non, il ne sourit pas par méchanceté, mais bien parce qu'il se rend compte que son sursis achève. Que depuis 13 jours, sa vie est en suspens, et qu'il ne peut plus, maintenant, éviter l'échéance. Mary n'est pas du genre à hésiter longtemps. Elle a été plutôt patiente depuis six ans, mais ne le demeurera pas éternellement.

Ça sent la soupe chaude, murmure-t-il en passant le guichet du métro.

Les pas

J'ai cherché les traces sur les images. Dans le fouillis des papiers et de la cendre, dans le désordre des pas emmêlés et des chaussures abandonnées. J'ai voulu retrouver quelque chose. L'empreinte de ceux qui ne sont plus là. L'ombre d'un visage.

Mon œil s'est arrêté, affûté, il apprend à discerner ce qui se trouve à la périphérie, ce que la photographie ne voulait peut-être pas montrer mais qui ne lui échappe pas. Je les lis différemment maintenant. Je les reconnais. Ne m'arrête plus à ce qui se montre d'emblée, ce qui ne résiste pas au regard, ce qui me rassure parce que je sais que je vais l'y trouver. Ou plutôt, comme avec mes fantômes, je vois ce qui se trouve là, ce qui m'est offert, et j'avance encore un peu. Avec eux. 

Parce que ce qui se refuse, ce n'est jamais que ce que j'ai peur de voir.