Un événement, donc. Supposons-le grand, important. La plupart du temps, ceux-là sont aussi catastrophiques, peut-être parce que les beaux, on ne les retient pas longtemps, leur caractère "life-altering" ne tient pas la route. Donc, grand, important, catastrophique. C'est une borne, il est reconnaissable facilement. Donc (soyons philosophe, accumulons les possibilités argumentatives), donc, l'événement tranche, marque une rupture entre le avant et le après, entre ce qu'il y a eu, le ici-maintenant, et ce qu'il y aura et qui ne peut faire autrement que d'être informé par l'événement. Que se passe-t-il? La voix change-t-elle?
Dans Compter jusqu'à cent, Mélanie Gélinas place le 11 septembre comme une borne, la marque d'une rupture entre deux identités, deux narrations. Comme si l'événement, dans toute sa force de destruction, venait également détruire la paix fragile créée après un autre événement, aussi traumatique, mais jouant à un autre niveau, plus personnel. L'agression sexuelle subie il y a 10 ans par la narratrice donne naissance à une voix, celle d'Anaïs, alter ego de la narratrice, mais aussi voix plus forte. La voix de l'écriture aussi. C'est elle qui donne les ordres. Et soudain, avec l'effondrement des tours, cette paix fragile se rompt. Les frontières entre le ici-maintenant, le passé et New York se brouillent. Et la faille qui s'ouvre permettra peut-être une résolution, à tout le moins une modification de la donne: la narratrice reprendra du poil de la bête, récupérera sa propre voix. Donnera elle-même les ordres.
Fine. Je veux bien. L'attentat ébranle l'identité, la structure protectrice du moi créée à même une rupture identitaire, ou une identité double. Cela, je comprends. Mais la réconciliation? Sais pas. Reste à voir.
Je n'ai pas de réponse aujourd'hui. Quelques questions, pas ennuyantes mais dérangeantes. La nécessité de trouver non pas une réponse, mais une question structurante, qui me permettra d'avancer. De réfléchir. Ce n'est jamais que cela, le problème.