Leah se bat. Avec la veste empêtrée dans le sac coincé entre la carte d’identification et le portemonnaie qu’elle n’a pas eu le temps de ranger dans le bon compartiment. Elle se bat aussi avec des chaussures trop neuves et trop serrées, avec le désir de s’asseoir là, de ne plus bouger, de se mettre à pleurer, ou à rire, ou à crier. Mais surtout, Leah se bat avec elle-même. Ce n’est pas nouveau, cette lutte, Leah la connaît bien, il lui semble qu’elle l’habite depuis sa naissance. Non, ce n’est rien d’inédit. Sauf que si le combat est le même, les causes, cette fois, sont différentes. Et c’est avec cela que Leah se débat, pendant que ses souliers avalent ses pas, que le portemonnaie menace de se vider sur le sol, et qu’elle se demande sans cesse pourquoi elle continue à avancer. Les autres, elle les comprend. Ils veulent survivre. Mais elle?
Leah est arrivée au travail à 8h30 précises pour ce qu’elle savait sa dernière journée de travail. Pas seulement pour la compagnie. Ce mardi serait son dernier mardi, elle avait décidé d’en finir. Sa vie n’était pas si triste, ni si vide. Mais elle ne lui apportait plus rien. Leah, depuis mai, se sent vide. Neutre. Voilà le bon adjectif : neutre. Elle voudrait pouvoir pleurer, crier, hurler, elle rêverait de ressentir quelque chose, autre chose que ce grand silence en elle qui ne lui laisse aucun répit. Elle ne sourit même plus lorsque le soleil lui chauffe le visage ou que le rire d’un enfant surgit de nulle part. Tout l’été, elle a attendu, espéré que quelque chose se réveille en elle. Vu un psychologue. Pris des médicaments, pilules jaunes, bleues, blanches, qui l’étourdissaient et ne faisaient pas plus que mettre ce silence en elle en sourdine. Soyez patiente, lui ont dit tant le médecin que le psychologue. Il faut du temps pour se reconstruire.
Le problème, pense Leah pendant qu’elle sent derrière elle la pression de centaines de marcheurs, le problème, c’est que je ne sais pas pourquoi il me faut me reconstruire.