Cette phrase de Reeves : "L’espace prend la forme de mon regard".
Depuis mon retour, et cela me semble presque soudain, l’espace new yorkais s’agite devant moi. Soudain, oui, parce que pendant que j’y étais, j’étais absorbée par ce que je voyais, ce que je cherchais. Je voulais trouver les traces des attentats. Je pensais voir, sur les immeubles autour du cratère, cratère qui n’est plus ce qu’il était, qui se tourne maintenant vers la reconstruction, vers l’imagination d’un nouvel espace. Je lis en ce moment A City in the Sky, une histoire du World Trade Center, de sa construction, de sa destruction. Et j’imagine que ce qui se passe, depuis la chute des deux tours, c’est un processus de la même nature que lorsque Rockefeller et quelques autres financiers ont entrepris, avec le Port Authority, de construire un World Trade Center. La paix par le commerce, voulait-on. Bien sûr, le World Trade Center n’a jamais rempli le mandat qu’il s’était fixé, tout simplement parce que, dit-on dans cette très intéressante biographie, il n’y avait pas assez d’importateurs et d’exportateurs de biens pour occuper ce grand complexe. Le mandat s’est déplacé, en même temps, peut-être, que nous passions d’une économie de biens à une économie de services. World Trade Center, au fond, ce n’est qu’une autre façon de parler du transfert d’argent d’une main à une autre.
Après la chute des tours, le jour même semble-t-il, le débat pour la reconstruction était lancé. Pourtant, 8 ans plus tard, en dehors de la reconstruction de l’immeuble 7, que s’est-il passé sur le site ? Et ce 7, il est en retrait. Et il n’appartient pas au même mouvement.
Bref. Je m’égare.
Depuis mon retour, donc, je vois New York, je l’entends. Et alors qu’avant, je ne parvenais pas à interpréter les images de destruction sur lesquelles je me penchais pourtant depuis des mois, à aller au-delà d’une compréhension abstraite, voici que maintenant, lorsque je vois le pont piétonnier nord aux vitres soufflées, je le reconnais. Le World Financial Tower. Le Winter Garden. Le Banker’s Trust. Les proportions, je crois, commencent à faire sens.
Peut-être n’est-il donc pas si étonnant que depuis mon retour, je regimbe à retrouver les nouvelles. Comme cette chose, lancée ici, avec des numéros, que je ne me résous pas à continuer. Je la sens bien présente, je devine qu’elle détient quelque chose de la structure du recueil. Mais voilà : elle devra dire quelque chose, placer mes personnages dans cet espace, dans ce temps, dans cette destruction. Et je ne suis pas prête. Pas encore. Je veux les laisser absorber la fraicheur de la pierre dans leurs dos, lorsqu’ils s’enlacent avant le travail. Observer la statue de la liberté, écouter les bruits du ressac dans Battery Park.
Juste un peu.