vendredi 16 janvier 2009

Le poids d'une vie

Alors qu'ils tentent de construire le mémorial du World Trade Center, des débats opposent les différents groupes représentés: membres de famille d'employés, architectes, représentants de la ville, représentés des pompiers, des policiers, des ambulanciers. Les débats ne concernent pas tant la nécessité du mémorial (de cela, tous sont convaincus), mais de l'importance à accorder à chaque victime. Car devant la mort, tous ne sont pas égaux. 

On sait plus de choses sur les employés des différentes firmes des tours que sur les employés de soutien (entretien ménager, entretien mécanique, etc.). On a vu les gens sortant des tours en tailleur ou en complet. Mais les autres? La femme de ménage qui passe après les pauses café remettre un peu d'ordre dans la toilette des femmes du 87e étage, qu'en sait-on? Le nettoyeur de plancher? Les a-t-on vus? On connaît l'existence d'un nettoyeur de vitre parce que c'est grâce à l'outil de ce nettoyeur utilisé pour couper le mur qui bloquait leur sortie que les quelques personnes se trouvant dans cet ascenseur ont pu sortir indemne de la tour. On connaît l'existence de certains employés du Windows on the World en partie à cause de la photo de Richard Drew et de l'enquête effectuée par la suite pour identifier "l'homme qui tombe".

Le mémorial comprendra, comme tous les mémoriaux construits depuis la deuxième Guerre mondiale, les noms des victimes. Les discussions du comité de construction du mémorial portent sur ces noms: doit-on placer les noms en ordre alphabétique? doit-on les regrouper par "famille", c'est-à-dire en fonction de l'endroit où ils étaient dans la tour, avec leurs collègues du même bureau? Mais alors, que fait-on avec ceux qui n'aimaient pas leur boulot et détesteraient se voir résumés ainsi à leur appartenance à une compagnie? Pour les représentants des pompiers, leurs morts ne peuvent être perdus dans la masse des 3000 personnes mortes ce jour-là. Les pompiers tombés "au combat" ne peuvent être assimilés ainsi aux victimes civiles. Ils doivent être représentés autrement sur le mur des noms, ils doivent se trouver ailleurs, et non dans la suite alphabétique des noms. 

Mais pourquoi? Car la question qui se pose est celle-ci:  les pompiers, policiers, ambulanciers, membres de la sécurité du Port Autority qui sont morts le 11 septembre 2001 sont-ils plus importants que les autres victimes des attentats? Sont-ils différents des morts "civiles", des "innocents" victimes des attentats? Mais il est vrai que, depuis le 11 septembre, les pompiers sont devenus des héros, intouchables, une entité mythique de l'identité américaine. Le traitement qu'ils ont reçu pendant le déblaiement de Ground Zero (chaque pompier, ou partie de pompier, retrouvé a été évacué sur une civière, sous un drapeau américain, et sorti du site en une procession respectueuse. Les civils, eux, n'ont pas eu droit à ce même cérémonial, les restes humains ont été mis dans des sacs pour être par la suite identifiés. 

Mourir pendant qu'on fait son travail, comme un pompier, et même si ce travail comprend la tentative de sauver des gens pris dans des incendies, est-ce que cela a plus de poids que mourir parce qu'un matin, son lieu de travail est attaqué? 

Ma réflexion, je m'en rends compte, est embryonnaire. Peut-être puérile. Mais elle résulte d'un constat: certains morts sont plus importants que d'autres. Certaines tragédies comptent davantage que d'autres. Une femme tuée importe davantage qu'un homme, mais moins qu'un enfant, et moins encore qu'une enfant si elle est belle et provient d'un milieu aisé. La mort de presque 3000 Américains soulève davantage l'intérêt que celle de Palestiniens ou d'Africains. Apparemment. Même si cela ne fait aucun sens. Pas plus que d'utiliser la Shoah comme argument pour la destruction de ce qui reste de la Palestine. Mais cela, vous ne le savez peut-être pas, est une toute autre discussion, qui s'agite dans les couloirs de ma réflexion sur le 11 septembre sans y être liée. Sauf pour cette question du poids d'une vie. 

Je sens que j'y reviendrai.