jeudi 18 septembre 2008

Eileen

D'abord le bruit. Puis plus rien. Pratiquement encastrée sous son bureau par les débris, Eileen s'étonna du silence. Elle n'entendait ni alarme, ni gicleur, ni cris. Elle percevait plus qu'elle entendait sa propre respiration. Elle passa la main sur son chemisier, et découvrit qu'il était humide. Elle ne se demanda pas s'il s'agissait de sang ou d'eau. Ou si son café avait taché ce chemisier acheté la veille. Elle s'était sentie comme une gamine le premier jour d'école. Comme sa fille, Meredith, debout tôt le matin avec son chandail tout neuf, rouge vif, le sac déjà au dos, prête à partir dès 6h. Depuis la rentrée, Meredith était toujours prête trop tôt. Elle avait hâte, hâte de retrouver ses bâtons de colle, ses crayons de couleur et ses amis. Hâte de jouer dans la cour d'école, hâte de revenir le soir pour raconter ce qu'elle avait vu et appris. Eileen pensa à Meredith, alors qu'elle essayait d'entendre si, autour d'elle, quelqu'un bougeait. 

Elle ne se demanda pas si elle allait survivre. Elle était là, avec son chemisier blanc et sa carte d'identité qui remontait contre ses côtes. Le moment n'était pas propice aux questions existentielles.

vendredi 12 septembre 2008

Les lieux connus

Derrière la maison, dans les champs, la poussière s'est levée. Elle a formé une tornade, et puis une autre. De grands siphons gris. Je voyais les strates de poussière, les différentes couches de gris, bien dessinées, pendant qu'à l'intérieur, autour de la petite table ovale, nous nous sommes levés. 

Dehors, devant la maison, on voyait toujours les siphons, ils menaçaient de se rejoindre. Le paysage que nous avions connu depuis si longtemps ne se ressemblait plus.

Tu étais là, debout devant moi. Tes mains sur mes épaules. Puis tes bras autour de moi. J'ai eu le temps de m'abandonner un peu, de t'entendre dire "il me semble qu'il y a longtemps que je ne sais pas ce qui se passe avec toi". 

Puis je me suis réveillée. 

dimanche 7 septembre 2008

Rupture, effondrement et autres tremblements

Je réfléchis à la notion de rupture. En fait, à la manière dont les événements se positionnent les uns par rapport aux autres. Entre un avant et un après. Et comment cet événement finit par définir, par modifier tout le reste. Ce n'est pas clair. 
Un événement, donc. Supposons-le grand, important. La plupart du temps, ceux-là sont aussi catastrophiques, peut-être parce que les beaux, on ne les retient pas longtemps, leur caractère "life-altering" ne tient pas la route. Donc, grand, important, catastrophique. C'est une borne, il est reconnaissable facilement. Donc (soyons philosophe, accumulons les possibilités argumentatives), donc, l'événement tranche, marque une rupture entre le avant et le après, entre ce qu'il y a eu, le ici-maintenant, et ce qu'il y aura et qui ne peut faire autrement que d'être informé par l'événement. Que se passe-t-il? La voix change-t-elle? 

Dans Compter jusqu'à cent, Mélanie Gélinas place le 11 septembre comme une borne, la marque d'une rupture entre deux identités, deux narrations. Comme si l'événement, dans toute sa force de destruction, venait également détruire la paix fragile créée après un autre événement, aussi traumatique, mais jouant à un autre niveau, plus personnel. L'agression sexuelle subie il y a 10 ans par la narratrice donne naissance à une voix, celle d'Anaïs, alter ego de la narratrice, mais aussi voix plus forte. La voix de l'écriture aussi. C'est elle qui donne les ordres. Et soudain, avec l'effondrement des tours, cette paix fragile se rompt. Les frontières entre le ici-maintenant, le passé et New York se brouillent. Et la faille qui s'ouvre permettra peut-être une résolution, à tout le moins une modification de la donne: la narratrice reprendra du poil de la bête, récupérera sa propre voix. Donnera elle-même les ordres.

Fine. Je veux bien. L'attentat ébranle l'identité, la structure protectrice du moi créée à même une rupture identitaire, ou une identité double. Cela, je comprends. Mais la réconciliation? Sais pas. Reste à voir. 

Je n'ai pas de réponse aujourd'hui.  Quelques questions, pas ennuyantes mais dérangeantes. La nécessité de trouver non pas une réponse, mais une question structurante, qui me permettra d'avancer. De réfléchir. Ce n'est jamais que cela, le problème.

mardi 2 septembre 2008

Elle pleurait toujours après

Je sais d'où viennent les nouvelles, la plupart du temps. d'une phrase. d'un moment plus fort que les autres, ou alors seulement d'une chose entrevue, comme un escalier, un enfant, le son d'un chien couinant pour être libéré. Comme si ces morceaux étranges, des morceaux de perceptions, des fractions d'instants (Merleau-Ponty me guette encore, je m'en excuse) finissaient par ne pouvoir prendre sens que de cette façon, comme première phase d'une nouvelle ou comme trait d'un personnage ou d'un situation. Après, ils vont bien là où ils veulent, ils cessent d'être seulement cela, des morceaux de perception. Mais lorsqu'ils surgissent, de temps à autres, je ne sais pas ce que je pourrais faire d'autre que de leur donner un visage, celui d'un personnage. Il ne sera pas moi, bien sûr (mais devoir le préciser, n'est-ce pas légèrement hypocrite?) Ou pas juste moi. Ou moi seulement dans cet instant, pour cet instant.

On m'a demandé pourquoi je n'écrivais pas plus long, c'était l'expression, un cocktail à la main pendant que les enfants couraient entre les balles de golf et qu'on attendait le repas. Tu devrais écrire plus long. Why not? Sauf que le problème, c'est qu'une fois la situation de départ, ou la première phrase, ou le premier visage trouvé, il faut encore savoir où aller. Et que je n'aurais peut-être ni la patience, ni l'habileté de partir de cette fraction de première phrase et de la tenir pendant deux cents pages.
Peut-être.

lundi 1 septembre 2008

L'éternel recommencement

J'ai pris quatre ans à écrire ma thèse. Un nombre incalculable de versions, de ratures, de reprises, de recommencement, de goût de tout laisser tomber et aller voir ailleurs si j'y suis. 

J'ai fini, déposé, remisé la chose. Depuis deux ans.

Alors pourquoi est-ce que maintenant, alors qu'on me demande de la retravailler, est-ce que je me retrouve exactement comme il y a 6 ans, à me poser des questions à chaque phrase, chaque paragraphe, comme si les dernières années n'avaient rien apaisé? 

Je n'ai pas de réponse. Je sais seulement que je ne referai pas la chose si je dois me débattre à nouveau de la sorte, si je n'ai pas un peu l'impression d'avoir appris.

la force du contournement (avril)

Je devrais travailler. Le temps presse, je n'arrive à rien. Sauf à ranger, à trier les choses, à régler des formalités. Et à vouloir écrire. Écrire Ginny, bien sûr, mais les autres aussi, ceux qui s'en viennent.
Si je n'avais pas à travailler, il est fort probable que je n'arriverais pas à écrire. Ou que je penserais à travailler.

Et je m'interroge: pourquoi toujours autant de résistance, de procrastination. Pourquoi tout ce temps à tourner autour, à tergiverser, même si je sais que lorsque j'y suis, il n'y a rien de mieux, vraiment rien, que cette sensation de toucher à quelque chose, que ce soit dans l'écriture ou dans le travail, d'ailleurs.

Et je m'interroge aussi sur autre chose. Ma volonté de régler les problèmes, de trouver des solutions, de comprendre pourquoi Ginny Cooper, ma tentation de la contourner, d'écrire autour d'elle, comme si son refus en faisait un mur immuable. Et après? Et si Ginny, comme le reste, comme les méchants diagnostics, n'avait pas de solution? Et si la "solution" était seulement cela: laisser aller, la laisser aller, ne pas tenter ni même espérer la ranger quelque part ou lui trouver une résolution. Et si le simple fait qu'elle, et les méchants diagnostics, existaient voulait dire que ma quête de la solution ne veut rien dire, ne me mène nulle part, sinon à toujours tourner autour. Et si la procrastination n'était qu'une manière de ne pas approcher, ne pas finir, ne pas admettre qu'il n'y a pas de résolution? 

Ginny Cooper (février 2008)

J'essaie, me débats, tente contre toute attente d'écrire Ginny Cooper. Je sais d'elle qu'elle marche les deux mains dans ses poches.
qu'elle n'a pas eu peur.

Mais elle résiste, comme si elle ne voulait surtout pas que je la réduise à une histoire comme les autres, avec un début, un milieu, une fin. Une résolution.

Alors elle est sortie les deux mains dans les poches. C'était une décision. Comme celle de rentrer chez elle et de reprendre le boulot le lendemain matin. Comme celle de ne pas en parler, parce qu'elle n'avait rien vu, un peu de fumée peut-être. Son bureau n'existait plus, mais elle, immuable, avait déposé ses clés sur la table de l'entrée et s'était nettoyé le visage.

Le problème avec Ginny, ce n'est pas ce qu'elle a fait ou n'a pas fait cette journée-là. Le problème, c'est ce qu'elle révèle sur le projet, une faille, quelque chose que je n'avais pas prévu, ou pas tout de suite, si vite, un peu avant le milieu. L'impression d'être loin. Ou de me répéter. De ne pouvoir évoquer que des voix.

Il faut bien commencer quelque part

De Ginny Cooper à Melanie, de James à Nadia, je me promène parmi mes personnages, les trouvant dans des détours qui, chaque fois, me laissent surprise. Je ne les connais que si peu, au fond, à peine leur nom, parfois un trait, et soudain ils deviennent si forts, plus réels que les simples mots, plus réels que moi.

Je les approche, et les histoires viennent ensuite. Ils ne servent pas les histoires. Ils n'ont pas de buts, d'agenda, de convictions, de messages à passer. Ce sont des visages, et je ne veux que les amener là, là où ils voudront bien aller, les raconter, leur donner une voix, pour ensuite les laisser aller. Ils continuent leur histoire, parfois reviennent, mais plus souvent qu'autrement, ils deviennent comme ces amis qu'on a perdus de vue mais auxquels on pensera toujours avec affection.