samedi 24 avril 2010

La vérité? (2)

Si la masse des faits pèse sur les événements du 11 septembre 2001, c'est aussi parce qu'ils paraissent incontournables. Je ne referai pas ici le parcours de ces chiffres. Je dirai seulement ceci: écrire le 11 septembre 2001, peut-être est-ce avant tout se ménager un espace à travers les faits qui, pour indiscutables qu'ils soient, voilent l'événement. Toujours à Métropolis Bleu, Marc Zaffran, alias Martin Winkler, a expliqué que tous les faits médicaux de ses différents romans étaient justes, vérifiables. Qu'il importait pour lui que la fiction ne soit pas, en somme, l'occasion de désinformer. Il accordait donc à la fiction un rôle, une "mission".

Un ami à moi, très bon d'ailleurs, a écrit une nouvelle sur le 11 septembre, parce qu'à force de lui en parler, j'ai fini par le contaminer. C'est une très bonne nouvelle, très solide, avec un personnage intéressant. Sauf que. Sauf qu'elle joue avec la vraisemblance, avec ce que devait être la situation en haut de la tour nord, dans le restaurant Windows on the World.

Quelle latitude avons-nous avec les faits? Certes, il faut les bouger, les transformer, les adapter, bref, les traverser par l'écriture. Mais devant un événement réel, historique, jusqu'où pouvons-nous aller? Mon ami dit: justement, nous pouvons tout faire. Et normalement, je serais d'accord. Normalement, c'est à dire, pour tout ce qui ne concerne pas le 11 septembre 2001. Ce projet, dans lequel je suis entrée il y a trois ans. Que la fiction ne puisse faire autrement que d'inventer ce qui s'est passé derrière les façades brillantes des tours, cela ne fait aucun doute. Mon problème est ailleurs: les faits, les données, les dates, les heures, je ne peux pas les contourner, les éviter, bref, je ne peux pas les nier. Ils sont là. Pour écrire mon 11 septembre, celui de mes personnages, c'est un espace à même ces faits que je dois me ménager. Et il me semble que c'est ainsi, en étant le plus juste possible, le plus "vraie" possible, que je parviendrai à écrire autour de cet événement. Je ne fais pas un roman historique, mais pour écrire, j'ai besoin de savoir que cette chose au titre et au visage changeant (parfois recueil de nouvelles, parfois tirant vers le roman) ne pourra pas être attaquée sur le plan des faits: tout le reste, oui. Mais sur les faits, sur la probabilité que mes personnages aient pu exister, même s'ils sont totalement inventés, non. Personne n'a survécu en haut du point d'impact dans la tour nord. Au restaurant Windows on the World, la chaleur, la fumée étaient étouffantes. Au 78e étage de la tour sud, la survie à l'impact du deuxième avion n'était pas impossible, mais rare.

Je n'ai de l'événement que des faits épars, des images vues à la télévision, des photographies, des histoires entendues. Pour le reconstruire, lui donner sens, je comble les espaces laissés béants entre ces faits. Je ne fais pas un ouvrage historique, je le rappelle. Mais si je ne considère pas que mon livre a une "mission", il me semble qu'il ne peut pas mentir. Qu'il ne peut pas détourner les faits. Tout le reste, oui, le reste étant l'image qu'on a voulu donner de l'événement, sa cristallisation en figures (le héros, la victime, le bon, le méchant). La liberté d'écrire le 11 septembre, elle vient d'une recherche de vraisemblance qui repose pour moi non pas sur un abandon de la véridicité, mais sur une négociation avec le réel: ce que je peux transformer, ce que je dois accepter.

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